Hubert Joly
L'Angleterre, petite ile. C'est par cette phrase, mais appliquée à Sainte-Hélène, que le jeune Bonaparte décrivait l'ile dans ses cahiers de géographie. Il est piquant de constater que M. Boris Johnson aura peut-être réussi là ou Sa Majesté l'empereur Napoléon Ier avait échoué… Il aura rendu ce royaume boréal plus étriqué.
On se perd en conjectures sur les raisons pour lesquelles les dirigeants anglais qui ont effrontément menti à leur peuple sur le Brexit ont fini, à force de tirer sur la corde, par la casser. Car ils avaient, au fil des ans, réussi à arracher à leur partenaires tellement de concessions qu'ils étaient beaucoup mieux traités économiquement que chacun des 27..
On ne voit guère comme explication qu'une haine viscérale, aveugle, et antédiluvienne, contre tout ce qui est européen et, ce qui est un comble, contre leurs propres intérêts si on en croit les spécialistes.
Enfin, à la fin des fins, les lemmings de Londres se sont jetés dans l'eau froide avec un enthousiasme qui peut paraitre suspect aux yeux de leurs alliés médusés et désolés. Mais rien n'a pu dissuader la bande des Nigel et des Boris de passer à l'acte après quatre années de cinéma, tragicomédies et de palinodies.
Tout cela est très triste et très désagréable, y compris pour les Européens qui n'en peuvent mais, car tout le monde est persuadé que, dans cette opération, on aboutira à un magnifique résultat négatif. Bien entendu, les Moyens-bretons n'ont jamais pris le moins du monde en considération les intérêts des 27 qu'ils ont mis devant le fait accompli.
Il parait qu'on pavoise à Londres. Mais comme l' a fort bien dit notre négociateur européen, Michel Barnier, il n'y a pas lieu de se réjouir d'une situation perdant-perdant.
Mais, au moins, cette fois, ils sont partis.
Tout se passe comme au chevet d'un mourant. On désespère de sa santé, à chaque crise, on s'inquiète, on tremble pendant des jours. Quand il finit par mourir, c'est affreux mais c'est un soulagement. Le pire est venu, il n'est plus à venir… On peut enfin penser à revivre.
Après la peur du vide ainsi créé, les quelque 400 millions d'européens vont pouvoir se consacrer aux problèmes sérieux du continent et il y a de quoi faire entre le covid, les menées des superpuissances, le pourrissement de plus en plus accentué de l'affaire palestino-israélienne, et j'en passe bien d'autres.
Au fond des choses, n'est-il pas tragiquement attristant qu'après 43 ans d'efforts pour forger une construction européenne qui, certes, n'était pas sans défauts, mais avait au moins le grand mérite d'assurer miraculeusement une ère de paix et de coopération entre ses membres si divers ? Quelques dirigeants cyniques n'écoutant que leur ambition et rêvant, comme à l'époque des canonnières, d'un très incertain Grand large, ont, sur un coup de tête, menacé ce que les pères fondateurs de l'Europe s'étaient acharnés à bâtir, malgré les mauvais procédés d'Albion et sa volonté de faire échouer toute construction.
Le soi-disant Singapour sur Tamise qu'on nous promet a-t-il réellement un avenir ou n'est-il qu'un mirage dans le fog, une singerie comme son nom l'indique ? On peut s'interroger à perte de vue tant il y a de facteurs compliqués en balance, sans parler du hasard… Si on peut espérer que l'accord pourra éviter une reprise de la guerre entre les deux morceaux de l'Irlande, une autre menace peut surgir du côté de l'Ecosse. Il n'est pas certain que l'apprenti sorcier Johnson ait bien évalué ce risque. En outre, il faudra bien vérifier que les accords signés par les Anglais avec le Japon et le Canada ne portent pas tort aux intérêts européens... De même, si l'Angleterre adhère à l'accord commercial transpacifique, les Européens devront veiller à ce que ses clauses ne lèsent pas les 27. Boris est capable, comme il n'a montré, de tous les coups tordus et déjà les comportements anglais en Irlande du nord commencent à être suspects… Autrefois, mes maitres, qui étaient de bons maitres, disaient qu'un pays doit avoir la politique de sa géographie. Le premier ministre de Londres nous donne un intéressant exemple du contraire…
Hubert JOLY
4 février 2021