Hubert Joly


Cette vieille Afrique


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Et maintenant ? Comme on dit…

Devant l’incessant flot de mauvaises nouvelles qui inondent presque chaque jour notre planète, la mauvaise nouvelle, car c’en est une, de la cessation de la coopération entre la France et les deux États du Sénégal et du Tchad, m’invite peut-être relativiser un chouia.

Quand le nombre des morts chaque année, dans un quelconque conflit de la planète, s’élève à plusieurs milliers de combattants et de civils, le retrait de 350 soldats vivants au Sénégal et de 1 000 au Tchad n’est pas le drame que l’on dénonce avec jubilation chez nos ennemis. Peut-être serons-nous d’ailleurs contents de disposer de quelques centaines d’hommes et d’avions un peu plus au-dessus de la carte en Ukraine... Ce qui est certain est qu’une période s’achève, celle de la présence militaire française en Afrique. Il n’y avait déjà plus grand monde au Sahel avant que le Mali et le Niger demandent l’aide de la France lors des grandes attaques, supposées djihadistes, de 2013. Nous avons eu le tort de prolonger outre mesure notre présence, imaginant naïvement qu’on nous en aurait quelque reconnaissance. Comme la Françafrique ne payait plus, il était fatal que nos anciens colonisés iraient ailleurs chercher des sous et une protection militaire de leurs juntes.

Faut-il s’en affliger exagérément ? La question du retrait militaire d’une partie de l’Afrique n’est pas vraiment nouvelle. Dès 1956, un mouvement appelé « Cartiérisme » (du nom de son initiateur), considérait déjà que les colonies coutaient trop cher et qu’il était urgent de quitter Agadez et ses charmes, où la Croix du sud ne brillait plus des mêmes feux que jadis. D’ailleurs les Anglais nous avaient prévenus : Lord Salisbury avait en effet déclaré en 1899 : « Laissons au coq gaulois ces sables à gratter », sous-entendu, la Grande Bretagne préfère s’emparer des pays riches des côtes et des tropiques. Il y avait toujours eu en France des politiques comme Clémenceau qui, contrairement à Jules Ferry, étaient très hostiles à la colonisation. L’expédition de Bonaparte en Egypte, la conquête de l’Algérie sans véritables visées avaient laissé dans les yeux des militaires quelques mirages et la perte de la guerre de 1870 avait fait naitre un esprit de revanche. Surtout, pour rester une puissance mondiale, il fallait empêcher à tout prix que l’Angleterre ne mange la plus grosse partie de la planète. La conception d’un Empire français en avait découlé et l’on avait continué à rêver quand les Sénégalais (et autres) avaient sauvé nos champs de bataille au prix de leur sang et que Leclerc avait sauvé l’honneur lors du serment de Koufra, le 1er mars 1941. Nous nous étions endormis dans une sécurité trompeuse mais nous aurions dû nous réveiller après les épisodes de Dien Bien Phu, la révolte de l’Algérie, puis sa perte. Ayant liquidé l’affaire algérienne, le général de Gaulle avait replâtré l’Union française de 1946, remplacée en 1958 par la Communauté française. Déjà, les fissures étaient apparues avec l’indépendance de la Guinée. (Qu’en ont-ils fait les Sékou Touré et consorts ?). Le retrait des trois pays du Maghreb fut plus significatif mais le retour des Pieds-Noirs d’Algérie en 1962 montra que la France avait finalement plus gagné à cette opération de décolonisation remportée par elle-même contre les nostalgiques de « l’Algérie de papa » qu’à conserver un pays devenu hostile à notre présence.

Et maintenant, direz-vous ? Je me consolerai cyniquement en disant, comme la mère de Boabdil : « Ne pleure pas comme une femme un royaume que tu n’as pas su défendre comme un homme. » L’Histoire nous montrera si nous avons perdu davantage que nos illusions. Peut-être que les crocodiles chinois et russes s’entredéchireront ? Pour l’instant, les juntes au pouvoir au Niger, au Mali et au Burkina n’ont pas fait la preuve de performances éclatantes. Elles perdent chaque jour environ 20 civils ou militaires et leurs régimes dépendent d’un capitaine plus hardi qui chassera les généraux.

Alors, il faut garder raison mettre nos regrets dans notre poche, rester polis avec nos anciens protégés. Il est un peu paradoxal que ceux qui nous ont chassé sont ceux qui veulent à tout prix prendre une pirogue pour venir chez nous. Disons aussi qu’abreuvés d’injures par le Front national et ses héritiers, il est normal que nos amis d’Afrique se soient lassés de la perspective d’un refoulement ignoble. Notre examen de conscience est encore à faire. Mais aujourd’hui, ce qui se passe aux frontières mêmes de l’Europe est sans doute plus important encore et nous ne devons pas nous laisser distraire par nos mécomptes. Ce n’est pas faire preuve de racisme que de nous demander si les quatre juntes (je fais exception pour le Sénégal élu démocratiquement) seront plus malignes que nous dans un monde si perturbé...

Hubert Joly

1 décembre 2024