Hubert Joly


De quoi servent les primevères ?

Hubert Joly


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De quoi servent les primevères ?

 

Orléans, Beaugency, Notre-Dame de Cléry, Vendôme, Vendôme…

Tu n’y es pas du tout, mon pauvre Péguy, car aujourd’hui 8 mai 2015, cela serait plutôt : Douaumont, Les Eparges, forts de Vaux et de Tavannes, Verdun, Verdun…

Et cela, tu n’aurais pas pu le dire car tu ignorais le sens que prendraient ces mots lorsque tu fus tué dès le 5 septembre 1914 dans les combats de l’Ourcq, à la veille de la première  bataille de la Marne.
 

Ce pèlerinage, nous l’entreprenions à cette date anniversaire avec nos enfants à qui nous voulions faire revoir la maison de leur enfance vendue par ma mère en 2002 et devenue maison d’hôtes gérée par les nouveaux propriétaires. Moments émouvants où nous retrouvions certes la maison aux volets repeinte en bleu mais non le mobilier lorrain auquel mes parents étaient attachés, et ce qui avait subsisté des plantations paternelles : deux cornouillers couverts de fleurs comme jamais, le magnolia de ma mère, et encore des iris de Sibérie, des lis martagon, des cyclamens des bois.
 

Nous souhaitions montrer aux plus jeunes ce qu’avait été la Grande guerre. Ils furent servis.
 

D’abord la citadelle de Verdun et son petit train souterrain, le Centre mondial de la paix dans le superbe évêché rocaille restauré, la cathédrale ottonienne à deux chœurs, datant de 990 et dont les obus prussiens avaient rouvert un portail roman muré par les chanoines au XVIIIe siècle.
 

Et les plaies dans la ville Renaissance, mal cicatrisées par les reconstructions médiocres de 1925.

Puis les champs de bataille et, au premier rang, Douaumont, dont l’ossuaire souterrain offre la vision macabre des effrayants amas d’ossements, français et allemands mêlés, et pour finir, les Eparges.
 

Cette butte en avancée sur la plaine de la Woëvre en direction lointaine de Metz, avait été saisie par les Allemands dès septembre 1914 et fortifiée avec même un abri pour le Kronprinz. De février à avril 1915, les Français, dont Maurice Genevoix, tentèrent de reprendre les hauteurs mais ils échouèrent et les combats se poursuivirent avec acharnement jusqu’en septembre 1918. Un grand oncle de ma femme, le sous-lieutenant Gaston Voizard,  y fut grièvement blessé - et achevé par les Prussiens – oui ! dans la nuit du 7 au 8 avril 1915.
 

Mais, cet après-midi ensoleillé, tout est paisible. La forêt a reconquis les espaces hachés par la guerre et le moutonnement des trous d’obus. Sur le sentier en direction du sommet, le « point X » domine les colzas, les céréales et les champs labourés de la plaine. Les énormes cratères de près de 100 m de diamètre et plus de 50 m de profondeur, pleins de coucous jusqu’à ras bord, étalent une moisson printanière jaune beurre, dérisoire, émouvante, incongrue, et monstrueuse même, comme si chacune de ces modestes primevères n’avait été semée par la guerre que pour rappeler la mémoire de chacun des cent mille morts et disparus indistincts, engloutis dans les entonnoirs géants mais encore présents dans une symbolique témoignant en quelque sorte d’une obscure volonté de revivre au travers de leurs vingt ans fauchés…
 

Et en prime, pèlerinage dans le cimetière du Faubourg pavé de Verdun, à la tombe 49, celle de mon oncle Michel Voizard, tué à 23 ans le 18 mai 1940…
 

Rarement la folie des hommes s’est faite plus évidente, plus démonstrative, que sur ces collines d’une Meuse que Péguy avait cru pouvoir dire « endormeuse et douce à l’enfance »… Dans la Zone rouge de Verdun, encore largement interdite d’accès en raison de l’abondance des explosifs et de la pollution aux métaux lourds, on dit que cent mille combattants y seraient encore ensevelis… Dans les zones remises en culture, les cheveux se dressent sur la terre quand on vous dit que la production de luzerne a augmenté là davantage qu’ailleurs : on y sucerait donc les pissenlits par la racine au sens propre du terme… Quelle horreur ! Avis aux combattants d’Irak, d’Afghanistan, de Syrie ou de Libye… et à tous les autres qui seraient tentés par les guerres « fraiches et joyeuses », selon l’expression prêtée à Guillaume II.

 

Hubert JOLY

8 mai 2015
 

De quoi servent les primevères (fichier pdf)