Hubert Joly


Ils détroussent les cadavres

Hubert JOLY


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Il y a deux jours exactement, je me suis mis dans la tête d'aller patrouiller sur Internet à la recherche d'une photo que je savais figurer dans un numéro ancien de la revue « Je sais tout » aperçu fugitivement chez ma grand-mère lorsque j'habitais chez elle, 8 place de la Carrière à Nancy, de l'autre côté de la cour de l'appartement de Marie Marvingt la célèbre aviatrice. Je me rappelle l'avoir très bien connue. Alors qu'elle était déjà largement octogénaire, on la voyait traverser la ville, raide comme la justice sur une antique bécane qui ressemblait aux vélos hollandais.

La photo qui m'intéressait n'était autre que celle de mon grand-père maternel, Charles Voizard, qui, lieutenant dans les troupes coloniales avait été immortalisé par le journaliste au seuil de la grotte qu'il habitait alors à Madagascar.

J'allai donc naïvement pianoter sur un Google quelconque le nom de mon grand-père.

Quelle ne fut pas ma stupéfaction de voir apparaître, entre autres documents, la liste du contenu de notre tombe familiale au cimetière de Préville de Nancy. Avec en prime, fort heureusement, des erreurs grossières..

Comme on le pense, ma fureur fut encore accrue en découvrant que c'était un site de langue anglaise qui se permettait, sans en avoir jamais reçu l'autorisation de la part d'un seul membre de la famille, de se livrer à ce genre de profanation.

Que cherchent ces chacals d'anglophones (au sens propre du terme)? A détrousser les cadavres ? À venir piller les tombes?

Eh bien ! Ils en seront pour leur argent.

Car l'émeraude de la bague de fiançailles de ma mère lui a été volée sur son lit de mort entre la clinique de Gentilly et le dépôt des pompes funèbres de Nancy...

Et, puisque j'en suis au chapitre des ignominies, en voici encore une.

Mon oncle Michel, aspirant, a été tué à proximité des Ardennes en mai 1940. Son corps et celui de quelques-uns de ses camarades ont été ramenés et ensevelis dans un petit cimetière de la Meuse, au village d'Ancemont. Chaque année, et même deux fois par an, j'accompagnais ma grand-mère pour aller nettoyer et fleurir sa tombe. Nous partions très tôt, prenions le bus à Commercy puis jusqu'à Dieue. Là, nous traversions à pied (sec) la Meuse et gagnions le village. Lorsque je découvris, Un balcon en forêt, de Julien Gracq, je fus stupéfait de constater l'exacte similitude de parcours entre celui de mon oncle et celui de l'aspirant Granger, héros du livre.

Une année, ma grand-mère reçut une lettre de la mairie. Il paraît que les militaires encombraient le cimetière et qu'on avait besoin de place. Qu'ils débarrassent donc le plancher ! Ma grand-mère, outrée, se demanda si elle ramènerait mon oncle dans notre tombe de Nancy. Elle préféra finalement qu'il rejoigne les quelques camarades qui avaient, avec lui, partagé la terre de la Meuse et, finalement, il repose maintenant avec eux au cimetière du Faubourg Pavé à Verdun...

Je me suis juré de poursuivre de ma vindicte ce foutu maire jusqu'à ma mort.

Et maintenant, sombrons dans le sordide.

Ma grand-mère touchait une pension de veuve de guerre à laquelle s'adjoignit à partir de 1940, une pension d'ascendant du fait de mon oncle. Mais certaines années, ces deux pensions dépassaient le quota autorisé et, une année sur deux, on supprimait la pension. L'année suivante, le montant de la dite pension n'étant plus atteint par la limite administrative, on la rétablissait...

Inutile de dire que ma grand-mère, qui était lorraine comme moi, appréciait peu ce genre de fantaisie et comme moi aujourd'hui , je pense qu'il ne lui est jamais arrivé de pardonner ces offenses ! Comme le dit la devise de ma ville natale avec son chardon plein de piquants, « Non inultus premor » : On ne me touche pas sans que je me venge !

 

Hubert JOLY

27 novembre 2013