Hubert Joly


J'étais à Marly

Hubert JOLY


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J'étais hier à Marly. Le soir commençait à tomber. Un magnifique soleil d'automne coupait le vallon en deux parties égales. D'un côté, la pleine lumière illuminait les nombreux promeneurs, les familles étendues dans les pelouses, les canards, les bernaches et les mouettes de la grand pièce d'eau. De l'autre, déjà l'ombre descendait et donnait une dimension tragique à ce tableau paisible.

Quoi ? C'était donc cela ce "palais de fées" dont parle la Palatine ?

Il n'en restait rien. Ou si peu. Disparus, le château qu'un simple soubassement dessine encore, disparus les douze pavillons, les communs, la grande cascade et la moitié des bassins. Seuls les alignements de tilleuls, une rangée d'ifs, noirs comme des fantômes, jalonnent les perspectives. La centaine de statues qui peuplait jadis les jardins s'est réduite à une maigriote dizaine de moulages en résine que des mécènes peinent à reconstituer. Bien sur, on a replacé des copies des merveilleux chevaux de Coustou en contrehaut de l'abreuvoir. On vient de redonner une place à Flore et à deux Compagnes de Diane, ainsi qu'à quelques vases. Mais sous les grands arbres, Hippomène et Atalante, Apollon et Daphné paraissent bien chétifs, sortis des bassins qui leur conféraient un cadre et une échelle.

De tant de richesses perdues, les unes par le pillage et les déprédations de la Révolution, les autres par l'irrésolution (ou l'avarice?) de Napoléon qui laissa dépouiller le domaine de 1805 à 1811 par un propriétaire l'ayant converti en ateliers, que peut-on voir encore ? Dans le musée, on trouve deux antiques qui ont échappé au massacre et surtout quatre toiles des saisons qui figuraient au premier étage du château. Un petit film montre l'état pitoyable dans lequel elles furent trouvées et la restauration exemplaire dont elles viennent de faire l'objet. De même, le musée a acquis l'un des soixante dessus de portes représentant des amours, des vases et des guirlandes de fleurs. Une partie d'entre eux est heureusement conservée à Fontainebleau. En outre, une petite table de Riesener datant de 1787 et livrée pour Marie-Antoinette a retrouvé, sinon sa place, du moins son histoire.

Car à supposer que le nombre des trouvailles s'accroisse, où les mettrait-on, le joli-musée promenade étant déjà plein ? Tous les bâtiments ou presque ont été rasés. C'en est vraiment à pleurer.

Sans doute un projet de restauration a vu le jour mais son ambition se limite à la grande perspective, aux statues, aux bassins. Il n'est pas question de reconstruire, même en trompe-l'œil.

Un grand espoir cependant. Depuis 2010, le domaine de Marly a été rattaché à celui de Versailles. Cent ans après le sauvetage in extremis par Napoléon, une nouvelle carrière s'ouvre pour Marly. Parmi les rêves que chacun de nous peut trainer dans ses fantasmes, j'en ai un petit : la restitution d'un ou plusieurs des douze pavillons cubiques qui ont disparu. Ce sont de petites choses mais personne ne songe à les rétablir. Si j'osais, je voudrais suggérer à Saint-Gobain d'en faire son mécénat. N'est-ce pas Colbert qui a soutenu la création de la Manufacture ? Ce ne serait que justice de lui rendre la politesse. Car les techniques modernes du verre autonettoyable permettraient de donner à ce petit cube tout l'éclat du cristal. Les mânes de Saint-Simon qui y fut reçu et qui assure avoir convaincu le Régent de renoncer à détruire Marly seraient apaisées.

Ce serait le point de départ de projets plus ambitieux et plus visibles qui, dans l'impossibilité de faire une restitution intégrale du château et de ses abords, contribueraient à redonner une nouvelle vie à ce qui fut l'enfant chéri, tant de fois repensé et amélioré, du grand Roi.

Il y a une histoire très triste pour finir. Le petit dauphin mourut en juin 1789. Ses parents en furent très affectés mais le public, tout aux prémices de la Révolution, n'y fit guère attention. La famille royale vint une dernière fois à Marly le 23 juin 1789. L'Histoire ou la fatalité voulurent que la mort de l'enfant scellât celle de Marly...

Mais il a toujours dépendu des hommes de forcer le destin. S'il est impossible de ressusciter le petit prince, frère du plus malheureux Louis XVII, il dépend de notre volonté d'opérer la résurrection de Marly.

  Hubert JOLY,  1er octobre 2012